Publié le : 29 octobre 2017Vues : 12Tags:
famille Zaïtsevo

Après la nuit passée en famille à Zaïtsevo en septembre, je suis retournée passer trois jours et trois nuits dans ma famille adoptive, afin de goûter quelques jours de repos relatif, loin d’internet et de mon travail.

Cette fois je n’ai pas dormi chez Irina et Victor (les parents de Tania, et grand-parents maternels de Rita), mais chez Olya. Cette dernière est ma deuxième maman adoptive et la belle-mère de Tania.

Cette dernière et sa fille, Rita, ont d’ailleurs prévu de passer deux jours chez Olya afin que l’on puisse se voir. Cela fait presque deux mois que je n’ai vu ni ma sœur, ni ma nièce adoptive. Alors nous profitons de l’occasion pour passer un week-end tous ensemble.

Comme Irina, Olya est aux petits soins pour moi. Je lui ai apporté quelques cadeaux et j’essaye de l’aider durant ces trois jours, à faire la cuisine, ou à s’occuper de ses vaches et de ses chèvres. Je réapprends d’ailleurs avec elle, l’art de la traite manuelle, apprise quand j’étais enfant, et quelque peu oubliée depuis.

La première soirée est marquée par des tirs sporadiques. Difficiles à filmer, les tirs se taisant aussi vite qu’ils ont commencé. Mais j’arrive à enregistrer plusieurs tirs de BMP (véhicule de combat d’infanterie) ou de mitrailleuse venant des positions ukrainiennes et à destination des positions de l’armée de la République Populaire de Donetsk (RPD).

Même lorsque j’essaye de prendre des vacances, le travail se rappelle toujours un peu à moi, et je garde ce réflexe de sortir la caméra dès que des tirs se font entendre.

La maison d’Olya est à quelques centaines de mètres à peine des positions de l’armée de la RPD et de celles de l’armée ukrainienne. Olya a peur pour moi à chaque fois que je sors pour filmer. Je lui rappelle avec le sourire, qu’elle prend autant de risques quand elle va jusqu’à l’étable pour traire ses vaches alors que les tirs se font entendre. Elle acquiesce en souriant.

Le lendemain, Tania et Rita arrivent. À peine arrivée, Rita veut passer tout son temps avec moi. Nous voila parties pour jouer dans le jardin, puis quand la pluie se fait plus insistante, nous rentrons jouer à l’intérieur.

Rita veut absolument jouer sur la tablette sous ma surveillance. Va pour une partie d’Angry Birds, dont elle coupe le son, pour mettre en fond sonore de la musique patriotique du Donbass.

Du haut de ses presque cinq ans, Rita jongle avec la tablette aussi vite qu’un adulte aguerri à ce gadget électronique. Alors qu’elle joue avec la chanson Донбасс – Русский русскому помоги (Donbass – Le Russe aide le Russe) en fond sonore, elle se met alors à entonner la chanson tout en continuant sa partie.

Je lui demande si elle connaît la chanson. Elle me répond que oui, que c’est Denis (« Arkhar » de son surnom), qui lui avait appris cette chanson. Près d’un et demi après la mort de ce commandant, et malgré le jeune âge de Rita, cette dernière se souvient avec précision de ce que Denis lui disait.

Rita m’a toujours marquée par son énergie inépuisable et son énorme joie de vivre, et ce malgré le fait que sa maison a été plusieurs fois bombardée. Au contraire d’autres enfants du village, elle n’a pas le regard dur, et le visage marqué par le stress qu’engendrent les bombardements incessants de l’armée ukrainienne.

Au contraire, depuis que je la connais, Rita me surprend toujours par sa capacité toute enfantine de faire le clown, et surtout ce qui lui chante sans écouter ni sa mère, ni ses grand-parents, ni moi. Mais dès qu’elle se souvient ou parle de Denis, elle prend alors un air très sérieux. Elle se rappelle de ses conseils de sécurité, ce qu’elle doit faire quand ça tire, et là pas question de faire le clown. Elle applique à la lettre ce que Denis lui a enseigné.

Je la félicite, et lui dit que Denis serait fier de voir qu’elle se souvient aussi bien de ce qu’il lui a appris. Elle me dit avec un ton grave et sérieux, que je lui ai rarement vu, qu’elle le sait, qu’il veille sur elle depuis le ciel, qu’il continue à la protéger même après sa mort. J’en ai les larmes aux yeux.

De son vivant, Denis était l’un des défenseurs du village, l’un des anges gardiens protégeant les civils qui y vivent contre l’armée ukrainienne. Rita n’avait que trois ans et demi à sa mort, et pourtant elle avait parfaitement compris quel était le rôle de Denis.

Quand je me remémore les derniers bombardements qui ont frappé la maison de Rita, le dernier alors même qu’elle se trouvait dedans avec Tania, et quand je vois comment elles s’en sont miraculeusement sorties vivantes, et sans une égratignure, je me dis que Rita n’a peut-être pas tord de se dire que Denis la protège depuis là-haut.

Rita et Denis

En fin d’après-midi, de nouveaux tirs se font entendre, puis ce sera une nuit calme. Le lendemain, Tania et Rita repartent pour Gorlovka, me laissant passer ma dernière nuit seule chez Olya, avant de rentrer à mon tour à Donetsk.

Le retour est difficile, le décalage entre la vie à Zaïtsevo, et celle de la capitale est digne d’un jet lag entre Paris et Pékin. Pour briser la morosité ambiante, mon frère adoptif me rappelle que c’est bientôt l’anniversaire de Rita et que nous y retourneront pour le fêter tous ensemble en famille.

Deux semaines plus tard, nous voilà donc de retour, à Gorlovka cette fois, pour fêter les cinq ans de Rita dans l’appartement qu’elle occupe avec ses parents (sa maison étant devenue inhabitable).

Nous avons fait ça en grand, avec achat d’un gâteau Bob l’éponge, rempli de crème, et pleins de cadeaux. Mon collègue Oleg lui a acheté deux petits poneys en plastique, son oncle Lyosha lui a acheté des cahiers de coloriage, des feutres, des crayons de couleurs et un livre avec une princesse en carton à habiller avec différentes tenues, et je lui ai acheté une poupée de grande taille.

Rita est aux anges, et se jette en priorité sur les petits poneys, puis sur la princesse en carton, dont elle va changer au moins quatre fois la tenue en une heure de temps, avant de prendre la poupée et voir si elle pouvait changer sa tenue aussi souvent que la princesse en carton.

Nous finirons cet après-midi de rires et de joies avec un texte que Rita a appris au jardin pour enfants, et qu’elle récite pour Oleg afin de montrer qu’elle l’a bien appris. Le retour vers Donetsk est difficile, car Rita ne veut pas que l’on parte. Nous lui promettons que nous reviendrons bientôt, et elle retrouve alors son côté taquin et espiègle que nous lui connaissons.

Christelle Néant

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