Le 11 janvier 2018, les forces armées ukrainiennes coupaient le dernier câble de l’opérateur MTS-Vodafone qui reliait la République Populaire de Donetsk (RPD) à l’Ukraine, laissant comme seul réseau mobile fonctionnant encore, le réseau local Phoenix .
Résultat, des centaines de milliers de personnes qui n’avaient qu’une carte SIM MTS-Vodafone se sont retrouvées sans moyen d’appeler qui que ce soit. La conséquence logique fut la ruée sur les bureaux de poste et magasins Phoenix, et la pénurie rapide de cartes SIM. En trois jours, 80 000 cartes SIM avaient été vendues, 200 000 en deux semaines.
Cette ruée brutale a fait passer le nombre d’abonnés Phoenix de 600 000 à 800 000 en deux semaines (et plus de 930 000 désormais), entrainant une surcharge conséquente sur le réseau qui a eu le plus grand mal à suivre.
Et pour acheter une carte SIM il faut un certain nombre de documents, dont un passeport ukrainien ou de la RPD en règle et un numéro d’identification fiscal. Or un certain nombre de personnes n’ont pas l’un voire les deux documents.
Je me retrouvais donc partie pour une quête qui semblait impossible afin d’acheter une carte SIM pour une dame qui en avait absolument besoin. À chaque fois des files d’attentes interminables qui me faisaient penser à celles qui existaient à l’époque de l’URSS et des stocks de cartes SIM écoulés en deux voire trois jours maximum après chaque nouvelle livraison.
La Poste du Donbass a donc décidé d’agir en publiant sur son site une liste des bureaux de postes avec le nombre de cartes SIM encore disponibles à la vente en temps (presque) réel.
J’ai donc attendu qu’une nouvelle livraison ait lieu, et me suis rendue dans l’un des petits bureaux de poste de la périphérie de Donetsk où, me disais-je, il y aurait moins de monde qu’à la grande poste centrale.
Je me retrouvais donc dans l’antichambre de ce petit bureau de poste, noir de monde, et demandais à la première personne devant moi la phrase rituelle dans le monde russe, dans ce genre de situation : « Qui est le dernier? »
Et là, surprise, la personne m’indique qu’il y a une liste des noms avec des numéros. Il n’y a pas de machine moderne délivrant des tickets dans ce petit bureau de poste, alors les gens se sont spontanément auto-organisés avec une feuille de papier et un stylo pour « civiliser » cette attente interminable.
J’inscris mon nom et je note qu’il y a beaucoup de gens devant moi, alors que le bureau de poste ferme dans moins de trois heures… Je tente quand même le coup, mais à 17 h 30 à la fermeture, nous sommes une bonne dizaine à ne pas avoir pu passer.
Qu’à cela ne tienne, une des multiples personnes âgées qui sont là décident de reporter les noms sur une nouvelle feuille qui servira de liste pour le lendemain. Se pose alors la question de savoir qui va garder la précieuse liste et après délibération, c’est moi qui en hérite, après les questions insistantes d’une des vieilles dames me demandant si j’étais sûre de pouvoir arriver en avance le lendemain.
Le lendemain matin, 45 minutes avant l’ouverture du bureau de poste me voilà sur place avec la précieuse liste. À mon arrivée seulement une des personnes présentes la veille est là, tous les autres (six) sont des nouveaux. En me voyant arriver ils me demandent quelle est la procédure d’attente, et je leur montre la liste.
Et alors que je m’attends à des protestations du genre « Ah non, nous n’allons pas reprendre la liste d’hier, tant pis pour ceux qui n’ont pas réussi à passer la veille ! », les gens me demandent au contraire gentiment d’inscrire leur nom à la suite et me demandent quel est leur numéro, afin qu’ils sachent s’ils ont le temps d’aller faire une petite course entre temps.
Car ici, pas question pour qui que ce soit de resquiller et de passer avant son tour. Ceux qui, présents la veille, sont arrivés un peu en retard ce matin là passeront dans l’ordre prévu sur la liste sans que personne n’y trouve rien à redire. Résultat, une heure après l’ouverture du bureau c’est enfin mon tour et je peux aller acheter cette précieuse carte SIM.
Devant ma surprise face à une manière d’attendre si civilisée, les gens me demandent pourquoi cela est si surprenant pour moi. Je leur explique alors qu’en France (d’où je viens) les gens se seraient entretués dans la même situation, en leur citant l’exemple de cette ruée sur le Nutella en promotion qui a eu lieu il n’y a pas si longtemps dans mon pays natal.
Le récit de ces bagarres de supermarché laisse mes voisins d’attente stupéfaits. Pour eux cela est impensable. Je me suis alors fait la réflexion que décidément, le Donbass avait beaucoup de choses à apprendre à l’Europe.
Christelle Néant