La question revient souvent, aussi bien de la part des habitants du Donbass, que de la part des étrangers qui viennent ici de manière prolongée ou seulement de passage.
Pourquoi ? Pourquoi avoir quitté l’UE, la France, son confort, pour venir se perdre dans une région en guerre à l’autre bout de l’Europe ? Surtout lorsqu’on est une femme. Pourquoi prendre autant de risques, pour raconter ce qui se passe ici, mais aussi pour fournir de l’aide humanitaire ?
D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours défendu mes idées avec ardeur. J’ai été une activiste avant même d’être en âge de voter. J’ai défendu les droits des étudiants, ceux des femmes, et les droits de l’homme en général. Je me suis battue et me bats encore contre le nazisme, le fascisme, la dictature sous toutes ses formes, mais aussi contre la maltraitance des animaux, la destruction de notre écosystème, de notre planète. Contre les injustices, les entorses au droit international au nom de l’intérêt financier de quelques uns.
J’ai toujours défendu le fait que les règles devaient être les mêmes pour tous. J’ai toujours été contre le deux poids, deux mesures. Je me suis battue et je me bats encore pour qu’un autre modèle de société voit le jour. Un système qui ne détruirait pas tant la planète que les hommes qui l’habitent.
Vous vous dites peut-être que je suis une douce idéaliste qui rêve d’utopie. Peut-être. Mais cet idéal, cette utopie, cette volonté de montrer que ce qui semble impossible est possible, c’est ce qui a été, est et sera toujours mon moteur. C’est ce qui dirige mes paroles et mes actes. Parce que je refuse d’agir en contradiction avec ce que je pense et ce que je dis. Parce qu’il faut montrer soi-même l’exemple, avant de demander aux autres de faire de même. Ce que je pense, je le dis, et ce que je dis, je le fais.
Dès le Maïdan j’ai fait de la réinformation, partageant des articles montrant la réalité de ce coup d’état, puis de l’aide humanitaire, en envoyant des fonds à diverses associations et personnes qui font de l’humanitaire dans le Donbass. Plus je lisais et découvrais la culture, la mentalité russe et celles du Donbass, et plus je me sentais en adéquation avec. Plus je sentais grandir le gouffre déjà existant entre les européens et moi. Puis j’ai commencé à traduire des articles de l’anglais vers le français pour l’agence DONi. Puis, j’ai voulu faire plus, en accord avec mes convictions.
Et pour faire plus, il n’y avait qu’un seul choix logique : venir dans le Donbass, et mettre en application sur le terrain mes convictions. C’est ce que j’ai fait en mars 2016. J’ai quitté un travail bien payé au Luxembourg, ma vie, mes amis, ma famille, et presque tous mes biens que j’ai vendus ou offerts, pour venir ici. Dans le Donbass.
C’est ici, à Donetsk, que je vis désormais depuis plus de 14 mois. Et c’est ici que j’ai décidé de continuer ma vie. Même après la guerre. Surtout après la guerre. Je suis là où je devais être.
Beaucoup des amis que je me suis faits ici, ou des gens que je croise au détour d’un reportage, ou d’une mission humanitaire, me disent après avoir discuté avec moi que je suis à moitié russe, que je pense comme une Russe. Après plus d’un an passé ici, cette intuition que j’avais eu en découvrant la Russie et le Donbass s’avère juste : mon coeur et mon âme son russes. Et c’est ici, dans le Donbass, qu’est ma place.
Christelle Néant